JOUER LE GROS PLAN: RYAN GOSLING DANS DRIVE
- QUATRIEME MUR
- 23 déc. 2021
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 6 juil. 2023
Un grand acteur doit savoir ajuster son jeu en fonction de la valeur de plan qu'aura choisi le réalisateur: gros plan, plan taille, plan large, plan d'ensemble, etc. Il va s'agir de choisir ce que l'on montre et comment on le montre en fonction de comment l'on est cadré.
Si vous n'êtes pas le sujet du gros plan, mais une amorce de celui-ci, cela veut dire que vous êtes au premier plan en flou, souvent de dos et que l'on aperçoit qu'une partie de votre épaule ou de votre nuque, tandis que vous faites face à votre partenaire qui est en net, face à vous.
Les films policiers, les drames, les thrillers ont souvent recours à ce genre de plan lors d'un champs/contre-champs, donnant grâce à cet effet une sensation de sérieux, d'urgence, d'action. Dans ce genre de plans, votre travail en tant qu'amorce sera de ne pas parasiter le jeu de votre partenaire, car tout mouvement excessif de votre part au premier plan -même en flou- happerait inutilement l'attention du spectateur, et le plan serait raté.
Un réalisateur joue souvent avec les bascules de points (faire passer un personnage cadré de flou à net et inversement). Il s'agit donc pour un acteur de savoir quand il est l'objet du plan ou simplement une amorce, et de savoir adapter son jeu.
Ryan Gosling dans Drive (Nicolas Winding Refn, 2011).
Dans le film, le personnage de Irène (Carey Mulligan) apprend au Chauffeur (Ryan Gosling) que son mari va bientôt sortir de prison. L'idylle qui naissait entre eux est donc menacée. Les deux personnages sont en voiture, arrêtés à un feu rouge (cf photo). Refn décide de s'intéresser à la réaction de Gosling, et nous le fait comprendre grâce à sa composition: le point est fait sur Gosling au premier plan à droite cadre, alors que Mulligan au second plan est en flou, gauche cadre. Ici, tout au long du plan, aucune bascule de plan ne sera effectuée, Gosling restant en net au premier plan: seules ses réactions nous intéressent.
Avant d'interpréter un personnage, un acteur doit réfléchir à celui-ci: qui est-il? Que veut-il? Comment réagit-il?
Le Chauffeur est un taiseux, un solitaire discret, réfléchi, qui peut s'avérer violent, mais pour autant non dénué d'émotions. Lorsqu'il apprend la mauvaise nouvelle, Le Chauffeur en est forcément affecté. Mais cela étant dit, pour rester cohérente, sa nature profonde de taiseux n'entrainera jamais une réaction exubérante.
Le plan affiche ainsi quatre moments, Refn voulant montrer à son spectateur quatre actions:
Arrêtés au feu, les deux personnages regardent devant eux, un peu gênés;
Irène tourne la tête en direction du Chauffeur dans l'attente d'une réaction;
N'ayant obtenu aucune réaction, Irène tourne à nouveau la tête face à la route;
D'un mouvement des yeux, le Chauffeur exprime de manière imperceptible qu'il est affecté. Irène ne s'en aperçoit pas.
Pour que le plan réussisse, Ryan Gosling est conscient que pendant les phases 1 à 3, il est nécessaire qu'il soit parfaitement immobile. Toute réaction de sa part -même infime-, nous sauterait aux yeux: il est en gros plan au premier plan, et le point est fait sur son visage. S'il bougeait, ne serait-ce qu'imperceptiblement, le spectateur décrocherait son attention d'Irène (déjà floue) pour se reporter sur le Chauffeur. Si Le Chauffeur ne bougeait ne serait-ce que d'un cil avant la phase 4, la scène serait brouillonne.
Maintenant, qu'auriez-vous fait à la place de Gosling pendant les phases 1 à 3? Consciencieux, vous vous seriez appliqué à ne pas bouger la tête. Mais vos yeux: les auriez-vous bougés? A cause des stimuli auxquels ils sont constamment soumis, les yeux bougent sans que l'on ne s'en rende compte. Imaginez alors sur un plateau de tournage, en extérieur, avec l'équipe, les lumières, les badauds, etc. Que de stimuli! Vos pupilles bougeraient donc très certainement de manière inconsciente.
Or, sur grand écran, un gros plan transforme à coup sûr un minuscule frémissement de pupille en un énorme mouvement. Ainsi, non seulement cela aurait parasité les actions de Mulligan pendant les phases 1 à 3, mais plus grave, lors de la phase 4, vous auriez été obligé de forcer le trait. Dans ce cas de figure, un infime mouvement d'yeux pour exprimer la réaction de votre personnage n'aurait pas permis au spectateur de voir une différence avec ce que vous faisiez avant. Il aurait donc fallu exprimer en phase 4 une réaction plus appuyée pour que cela soit remarqué.
Votre façon d'interpréter ce passage aurait donc été plus démonstrative que ne l'aurait voulu la discrétion et la pudeur de votre personnage. Par manque de maitrise, vous auriez occulté la réaction de votre partenaire et surjoué la réaction du vôtre.
Observons ce que fait Gosling: pendant les phases 1 à 3, il est absolument immobile. Regard fixe devant lui, ses pupilles ne bougent pas. On voit parfaitement Irène le regarder, ne pas obtenir de réaction, puis regarder à nouveau la route. Dès lors, son unique réaction en phase 4, extrêmement minimaliste, un mouvement des pupilles de droite à gauche, infime, prend une ampleur remarquable. Son désarroi est exprimé subtilement et en cohérence totale avec son personnage de taiseux, économe en mouvements et en mots.
Gosling a donc joué à la perfection ce gros plan: tout était cohérent et pertinent dans sa façon de l'aborder, et conforme aux attentes techniques du réalisateur et de sa partenaire.
Jouer en gros plan demande de la précision, de savoir ce que représente une telle valeur de plan sur un grand écran, d'avoir une notion de l'importance du flou ou du net au niveau du point, et de savoir concentrer son jeu sur le visage en accord avec le profil psychologique du personnage.
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